LE MOT DE L'INDE - "Aatankwadi" : Le terroriste
Courrier International, 9 oct. 2008

Dans le discours courant en Inde, l'aatankwadi – le terroriste – est systématiquement un musulman. Un parti politique nationaliste hindou a récemment fait circuler un SMS où il était écrit : "Tout musulman n'est pas un terroriste, mais tout terroriste est un musulman."Narendra Modi, ministre en chef de l'Etat du Gujarat, où il a orchestré en 2002 le massacre de citoyens musulmans, est un adepte du discours contre les aatankwadi. Il était l'invité d'honneur d'un rassemblement organisé à New Delhi par le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), le parti nationaliste hindou qui cherche à remporter les prochaines élections législatives (qui auront lieu avant mai 2009). Cette rencontre avait pour thème l'"aatankwadi virodhi", c'est-à-dire la "lutte contre le terrorisme". Le fait que les attaques terroristes qui ont frappé cette année Jaipur, Bangalore, Ahmadabad et Delhi aient été revendiquées par un nouveau mouvement, les Moudjahidin indiens, a renforcé cette image de l'aatankwadi musulman. Si bien que, lorsque des attentats sanglants contre des cibles musulmanes ont eu lieu presque simultanément à Malegaon, dans l'Etat de Maharashtra, et à Modasa, dans le Gujarat, le 29 septembre dernier, quelques jours avant la fête de l'Aïd, les autorités indiennes n'ont rien trouvé de mieux à faire que d'arrêter un jeune homme musulman. Le fait est, bien sûr, qu'en Inde tout terroriste n'est pas musulman. Pour beaucoup d'extrémistes hindous, il faut que les hindous, toujours trop passifs à leurs yeux devant l'éternelle menace musulmane, imitent les comportements des terroristes islamistes. Le Bajrang Dal, la milice des jeunes nationalistes hindous, a perfectionné cette dangereuse logique et attaque les minorités, qu'il s'agisse des chrétiens dans l'Orissa ou des musulmans dans le nord de l'Inde. Ils les accusent d'être des terroristes et des ennemis de l'Etat indien et utilisent eux-mêmes des méthodes terroristes. Mais l'aatankwadi et le musulman restent si indissociables dans l'imaginaire hindou que, lorsque deux jeunes adhérents du Bajrang Dal ont trouvé la mort dans l'explosion de bombes qu'ils étaient en train de fabriquer et que toutes les preuves glanées sur les lieux – matière explosive, plan des quartiers musulmans, documents impliquant des leaders nationalistes hindous locaux – étaient accablantes, les autorités n'ont pas pu mener l'enquête au bout. L'aatankwadi hindou ne peut pas exister, car, par définition, c'est un musulman. 

Calligraphie Abdollah Kiaie 

*Mira Kamdar est universitaire et essayiste. Elle écrit régulièrement dans la presse américaine et indienne, et a publié, en 2008, Planet India : l'ascension turbulente d'un géant démocratique, éd. Actes Sud.